Tordre le cou aux rumeurs

Article : Tordre le cou aux rumeurs
Crédit: Djilo Simo
9 août 2021

Tordre le cou aux rumeurs

Communément appelées fake-news ou intox, les rumeurs constituent de nos jours dans la société camerounaise l’une des réalités existentielles la mieux partagée. Elles orientent, désorientent, influencent le quotidien des populations du 237 (Cameroun). Quelques localités des deux régions administratives du Cameroun citées plus haut ont vibré le 19 mai 2018, à la cadence d’une fameuse et dangereuse rumeur: l’agitation du lac Nyos par les séparatistes anglophones. Aux origines d’un samedi de panique à l’Ouest Cameroun sous la manœuvre d’une rumeur : un décor planté et approprié.

Carte des régions de l’Ouest et du Nord-Ouest Cameroun.
Crédit photo: Institut National de Cartographie (INC), Cameroun

Samedi de panique à l’Ouest Cameroun

Mbouda est une localité située à l’Ouest Cameroun, chef-lieu du département des Bamboutos. Cette ville est frontalière à l’une des régions anglophones (Nord-Ouest) en proie à une ambition séparatiste et sécessionniste depuis 4 ans.  Laquelle crise oppose les groupes séparatistes dénommés ambazoniens aux forces de défense et de sécurité camerounaises. Depuis le début de ce conflit , les positions se sont radicalisées et les camps se parent davantage des manteaux de torture, d’intimidation, exactions, destructions.  Ce qui engendre dans ces zones de crise et les zones environnantes une psychose permanente et répugnante. Le pic de la dégradation sécuritaire est telle que chaque arme devient utile et nécessaire pour les belligérants. Seulement si elle apporte un coup au camp d’en face, aussi mimine soit-il.

Une vue du lac Nyos Cameroun.
Crédit photo: Ngatat Mbatchou

Dans le Nord-Ouest camerounais s’étale un lac de cratère dit le lac Nyos qui, au cours de son histoire a souvent montré son caractère dangereux. L’émanation des gaz de ce lac en 1989 est une illustration parfaite. Dans le contexte de la crise anglophone, les ambozoniens lancent depuis le déclenchement de la crise des campagnes de boycott de toutes les fêtes nationales camerounaises au rang desquelles la plus prestigieuse qu’est la fête de l’unité célébrée chaque 20 mai. Comme dans une liturgie royalement et majestueusement préparée, des individus aux profils des réseaux sociaux presque non identifiables, qu’on rattacherait à tort ou aux ambozoniens, ont orchestré une fake news dont l’objectif était d’amener les populations à boycotter massivement le 20 mai 2018. L’idée de l’annonce d’une nouvelle émanation des gaz du lac Nyos à la veille de la célébration du 20 mai était donc la bienvenue.

Eclatement de la rumeur et expansion

Tout serait parti de la publication sur facebook d’un internaute camerounais visiblement proche des groupes séparatistes anbazoniens. Dans cette publication il annonce l’échappement des gaz du lac Nyos lequel échappement serait la manœuvre des séparatistes. Ces évènements se déroulent aux environs de 20h du 18 mai 2018. Comme le passage d’un météore qui brule pour engendrer une étoile filante, la rumeur s’est propagée par le biais des réseaux sociaux, les appels téléphoniques… A l’aube du 19 mai, c’est toute la région du Nord-ouest et le département des Bamboutos qui vibraient au rythme d’une prétendue émanation des gaz.

L’entrée en scène de l’huile rouge

Habituellement à Mbouda et dans les autres localités des Bamboutos, les chants des oiseaux, et coqs annoncent la levée du jour. Les mouvements des populations, des motos et véhicules à partir de 4h traduisent la réalité selon laquelle chacun vaque à ses activités. Malheureusement, ce fameux 19 mai, c’est pratiquement un affolement animalier et humain. Ce sont les cris d’alerte populaires en passant par les emballages des montures familiales. On croirait ce jour à la phase annonciatrice d’un séisme de magnitude 12.Comme dans un rituel de purification en pays bamiléké, les enfants aux vieillards en passant par les adultes, les analphabètes, les intellectuels, les religieux et croyants, tous sont passés au rituel. Chacun s’embaumait les narines et les oreilles avec de l’huile de palme couramment appelée huile rouge dans l’optique de réduire les effets du gaz. A côté de bouclage des orifices avec de l’huile rouge, chaque participant au rituel de l’huile rouge de ce 19 mai 2018 consommait également une quantité importante (des cuillérées aux verres en fonction des âges) car la panique notamment la crainte de la mort été forte. Une rumeur aux conséquences dualistes.

Une rumeur aux conséquences dualistes

La rumeur de ce fameux samedi noir du 19 mai 2018 a laissé derrière elle un bilan assez lourd. La panique généralisée née de la rumeur a engendré à son tour un exode massif des populations des Bamboutos, pire encore celles des populations du Nord-Ouest. En outre, les blessures psychologiques laissées par cette fake news ne sont pas négligeables. Par ailleurs, elle a eu un effet considérable sur la participation des populations à la fête de l’unité camerounaise du 20 mai dans les localités concernées. Cependant, il convient de noter que la rumeur a aussi eu son côté positif notamment chez les commerçants de l’huile rouge qui ont vu leur chiffre d’affaire grimper d’un Radi. Aussi, ce fût une belle leçon pour les populations sur la nécessité de recouper l’information avant de la vulgariser ou avant son application.

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Commentaires

Malla Tenne
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Sujet fort interpellateur sur la nécessité de lutter contre les Fake news. Merci à l'auteur.